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Le faisceau a toujours le dernier mot

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Mike Lamont is Director for Accelerators and Technology

Ce sont deux semaines de tests avec faisceau qui viennent de se terminer pour le Grand collisionneur de hadrons (LHC) après une longue campagne de mise en service du matériel, de tests de mise sous tension des circuits des aimants, et d'entraînement des dipôles, menée à bien à l'issue du deuxième long arrêt (LS2).

L'entraînement des dipôles n’a pas été sans accroc. Deux pannes distinctes causées par des transitions résistives ont nécessité de réchauffer deux secteurs : l'un (secteur 78) pour remplacer un aimant, l'autre (23) pour remplacer une diode de dérivation. Le réchauffement et le refroidissement d'un secteur prenant environ 10 semaines au total, ces deux interventions ont pris quatre à cinq mois.

Un test avec faisceau d’une durée de deux semaines étant toujours prévu en fin d'année, le calendrier a été adapté pour tenir compte des répercussions des réparations, et les derniers préparatifs ont débuté dans la soirée du jeudi 14 octobre. Faute de temps pour remettre pleinement en service les circuits des aimants des deux secteurs, les tests avec faisceau ont pour l'essentiel été limités à 450 GeV.

Une fois les cavernes des expériences refermées et les vannes de vide ouvertes, il a été procédé à une vérification minutieuse sans faisceau, ce qui a permis de tester de manière approfondie les systèmes de protection de la machine et d'autres systèmes clés, comme les systèmes d'injection et d'arrêt de faisceau. Cette vérification menée à bien, les faisceaux ont pu à nouveau circuler à partir de la nuit du jeudi 19 octobre.

S'en est suivi un véritable tour de force. Un intense programme d'activités s’est déployé jour et nuit : configuration avec faisceau de différents systèmes (RF, collimation, arrêt de faisceau, injection, et l’exceptionnel système de rétroaction transversale, particulièrement réactif), tests des systèmes de protection de la machine, mesures et corrections de l'optique (qui ont révélé des croisements au niveau de raccordements sur deux quadripôles au point 3), mesures de l’ouverture (tout est en ordre sauf…), mise en service de l'instrumentation de faisceau (détecteurs de position de faisceau et de perte de faisceau), mesures de l’accord et des profils (lumière synchrotron, scanners à fils), systèmes d'asservissement pour l’accord et l'orbite, études sur les lignes d'arrêt et d'injection), etc. Les outils logiciels – cartographie automatique des pertes de faisceau, alignement automatique des collimateurs et balayages de luminosité – ont été mis en service avec succès. Durant toute cette période, la disponibilité du complexe d’accélérateurs a été d'environ 90 % – un résultat éminemment respectable.

Tout cela a permis d'obtenir des collisions et des faisceaux stables (à 450 GeV), et les expériences ont ainsi eu la possibilité de vérifier la performance de leurs détecteurs améliorés. Ainsi, l'expérience FASER (Forward Search Experiment) a enregistré pour la première fois des traces dans la totalité du détecteur. Le bon résultat des tests du point de vue des expériences a été salué par l’arrivée des traditionnelles bouteilles de champagne, qui, une fois vides, seront exposées dans le Centre de contrôle du CERN (CCC). En guise de bouquet final, des paquets pilotes ont été portés à 3,5 TeV, sans aucun problème.

Au fil des ans, j’ai passé suffisamment de temps dans la salle de contrôle pour prendre la mesure, au moins en partie, de ce qui a été réalisé durant ces deux semaines. Il a fallu pour cela que se conjuguent le travail technique rigoureux mené pendant le LS2 sur tous les systèmes techniques et les systèmes d'accélérateur, une batterie de tests et de préparatifs minutieux, des années d'expérience, une attention permanente au potentiel destructeur du faisceau et au matériel, le développement d’outils et d’instruments, le bon fonctionnement des systèmes, une connaissance approfondie de la physique des accélérateurs, la prise de conscience du fait que les processus et les problèmes peuvent être appréhendés, et surtout, une véritable culture de la collaboration. Tout cela témoigne de l'engagement, de la passion, et aussi, des ressources, investis dans le LHC.

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Le faisceau a toujours le dernier mot et il nous a ramenés à la dure réalité. Des pertes de faisceau pendant le test ont révélé la présence d'un objet couché non identifié (ULO), dont le profil et l'emplacement ont rapidement été déterminés. La radiographie et la tomographie ont permis d'établir qu'il s'agissait d’un doigt RF égaré en provenance d'un module enfichable d’une interconnexion d’aimants, au niveau de l'ouverture du faisceau. Après évaluation des conséquences à prévoir si l’accélérateur devait fonctionner en présence de cet obstacle pendant la troisième période d'exploitation, il a été décidé de réchauffer le secteur concerné pour pouvoir procéder à la réparation nécessaire. Cela retardera un peu le démarrage avec faisceau prévu en 2022. Le calendrier sera revu en conséquence.