L’expérience HiRadMat-56 (HRMT-56) a été conçue et mise sur pied en à peine un an, d’octobre 2020 à octobre 2021, pour répondre à une question aussi urgente que cruciale : comment concevoir les futurs absorbeurs de faisceaux du HL-LHC et les nouveaux absorbeurs de réserve du LHC ? L’autopsie pratiquée sur l’un des anciens absorbeurs de l’accélérateur a en effet révélé que l’un de ses éléments, à savoir le graphite extrudé, a fini par céder et se briser sous l’effet des impacts répétés de faisceaux (voir l’article correspondant intitulé « Autopsie d’un absorbeur de faisceaux du LHC »).
Mais par quoi remplacer le graphite extrudé ? Comment évaluer la résistance des matériaux destinés à absorber les faisceaux du LHC et du futur HL-LHC ? « Nous voulions connaître, de façon quantitative, le comportement de divers matériaux sous l’impact d’un faisceau de haute énergie, explique Pablo Andreu Munoz, ingénieur au sein du groupe SY-STI. Nous avons donc conçu une station de tests sur mesure à HiRadMat. »
L’expérience HRMT-56 consiste en une enceinte en aluminium sous atmosphère contrôlée (certaines cibles sont sous vide, d’autres sous azote gazeux) dans laquelle sont alignés 20 trains de cibles pouvant chacun contenir plusieurs échantillons différents. Grâce à un système « d’ascenseur », les trains de cibles passent les uns après les autres dans l’axe du faisceau de protons à 440 GeV/c fourni par le SPS ; chaque échantillon est impacté environ quatre fois. Les dimensions du faisceau et des cibles sont choisies de telle sorte que la densité d’énergie libérée lors de l’impact soit comparable à celle libérée par l’impact d’un faisceau de 7 TeV dans un absorbeur. L’expérience est de plus équipée de « dilueurs de faisceaux » : des tubes en titane contenant des cylindres de matériaux plus denses qui sont situés en amont des cibles et permettent d’augmenter la quantité d’énergie déposée sur celles-ci. Il est ainsi possible d’atteindre des valeurs de densité d’énergie proches de celles de la troisième période d’exploitation (« Run 3 ») et même du futur HL-LHC. Au menu : différents types de graphites de basse densité et de haute densité, du carbure de silicium renforcé avec des fibres de carbone, et du « carbone/carbone », un matériau constitué d’un tissage de fibres de carbone dans une matrice de graphite, notamment utilisé pour les navettes aérospatiales.
« Les cibles sont équipées de divers capteurs, notamment des sondes de température et des accéléromètres laser à effet Doppler, permettant d’avoir des informations en direct sur l’effet du faisceau sur les échantillons, précise François-Xavier Nuiry, responsable de l’expérience HRMT-56. Nous procédons également à une comparaison avant/après irradiation en extrayant les trains de cibles vers un bunker radiologique. Mesures de métrologie, de micro-tomographie, de masse, études de surface, etc., les échantillons sont analysés sous tous les angles avant et après impacts. »
Les premières données, obtenues en janvier 2022, ont permis de confirmer les résultats de l’autopsie : les graphites de basse et haute densité sont bel et bien retenus pour les absorbeurs de réserve du LHC. Le carbone/carbone a quant à lui montré des résultats très prometteurs, notamment pour différents absorbeurs du HL-LHC. Il remplacera également le graphite extrudé dans les absorbeurs de réserve.
Une autre phase de l’expérience HRMT-56 aura lieu en 2024. Les échantillons seront alors irradiés massivement – de l’ordre de plusieurs centaines d’impacts par cible – par les faisceaux du SPS.