Que ce soit en écoutant de la musique ou en poussant une balançoire, tout le monde a eu affaire aux résonances et à leur capacité d’amplifier un effet, par exemple un son ou un mouvement. Cependant, dans les accélérateurs de particules circulaires à haute intensité, les résonances peuvent poser un problème en faisant dévier les particules de leur orbite, entraînant ainsi une perte de faisceau. Pour prédire comment les résonances et les phénomènes non linéaires affectent les faisceaux de particules, il est nécessaire de démêler des dynamiques très complexes.
Pour la première fois, des scientifiques du Super synchrotron à protons (SPS), en collaboration avec des scientifiques du GSI à Darmstadt, sont parvenus à prouver expérimentalement l’existence d’une structure de résonance particulière. Bien que cette strucure ait été théorisée et ait été présente dans des simulations, il est très difficile de l’étudier expérimentalement, car elle affecte les particules dans un espace à quatre dimensions*. Ces résultats permettront d’améliorer la qualité des faisceaux de basse énergie et de haute brillance dans les injecteurs du LHC au CERN et de l’installation SIS18/SIS100 au GSI, ainsi que la qualité des faisceaux de haute énergie et de luminosité élevée, comme ceux du LHC et de futurs collisionneurs de haute énergie.
« À cause de ces résonances, les particules ne suivent pas exactement la trajectoire voulue, continuent leur chemin dans la mauvaise direction et se perdent, explique Giuliano Franchetti, scientifique du GSI et coauteur de la publication. Cela entraîne une dégradation du faisceau et rend difficile d’obtenir les paramètres requis. »
L’idée de rechercher la cause de ce phénomène est apparue en 2002, lorsque des scientifiques du GSI et du CERN ont remarqué que les pertes de particules augmentaient à mesure que les faisceaux des accélérateurs gagnaient en intensité. « Cette collaboration est issue du besoin de comprendre ce qui limitait ces accélérateurs, afin de pouvoir porter leurs faisceaux aux niveaux de performance et d’intensité nécessaires pour le futur », ajoute Hannes Bartosik, scientifique du CERN et coauteur de la publication.
Pendant de nombreuses années, les scientifiques ont développé des théories et des simulations pour comprendre comment les résonances affectent le mouvement des particules dans les faisceaux de haute intensité. « Il a fallu un énorme travail de simulation, mené par les équipes des grands accélérateurs, pour pouvoir comprendre l’effet des résonances sur la stabilité des faisceaux.», souligne Franck Schmidt, scientifique du CERN et autre coauteur de la publication. Les simulations ont montré que les structures de résonance induites par le couplage à deux degrés de liberté font partie des causes principales de dégradation du faisceau.
Les équipes ont mis du temps à déterminer comment rechercher expérimentalement ce type de structures de résonance. En effet, s’agissant de résonances quadridimensionnelles*, il est nécessaire de mesurer le faisceau à la fois sur le plan horizontal et sur le plan vertical pour les déceler. « En physique des accélérateurs, on réfléchit généralement sur un seul plan », précise Giuliano Franchetti.
Pour mesurer comment les résonances affectent le mouvement des particules, les scientifiques utilisent des détecteurs de position du faisceau situés le long du SPS. Les détecteurs ont analysé plus de 3 000 passages de faisceaux pour mesurer si les particules des faisceaux étaient centrées ou inclinaient d’un côté, à la fois sur le plan horizontal et sur le plan vertical. La structure de résonance découverte est présentée sur l’image 1.
« Ce qui rend notre dernière découverte si importante, c’est qu’elle montre comment les particules se comportent sous l’effet d’une résonance couplée, poursuit Hannes Bartosik. Nous pouvons démontrer que les résultats expérimentaux concordent avec les prédictions s’appuyant sur la théorie et la simulation. »
Maintenant que l’existence des structures de résonance couplée a été observée expérimentalement, il reste à trouver des moyens de réduire leurs effets néfastes. « Nous sommes en train de développer une théorie décrivant comment les particules se comportent sous l’effet de ces résonances, continue Giuliano Franchetti. Nous espérons pouvoir tirer de cette étude, venant s’ajouter à toutes les précédentes, des éléments pour arriver à éviter ou à limiter les effets de ces résonances dans les accélérateurs actuels et futurs. »
*L’espace fait référence à l’ « espace des phases », c’est-à-dire l’espace dans lequel tous les états possibles d’un système sont représentés