D’ici la fin du deuxième long arrêt (LS2) du complexe d’accélérateurs du CERN, un objet de neuf mètres de long, doté d’un blindage de plusieurs tonnes, sera installé autour de la ligne de faisceau du Supersychrotron à protons (SPS). Cet objet, qui sera le plus long des composants du SPS, n’est pas anodin : il contient le nouvel arrêt de faisceaux du SPS, conçu pour absorber les faisceaux de particules dont la circulation dans le SPS doit être stoppée. Au cœur de ce dispositif complexe se trouveront les véritables éléments d’absorption, contenant du graphite, du molybdène et du tungstène. Cette partie centrale sera entourée d’une gaîne faite de couches de béton, de blindage en fonte (peint en vert, selon le code de couleurs du CERN) et de marbre. Ce nouvel arrêt de faisceaux, qui contribuera à absorber des faisceaux de particules d’une vaste gamme d’énergies (de 14 à 450 GeV), est construit dans le cadre du projet d’amélioration des injecteurs du LHC (LIU).
Comme cela a été mentionné dans un précédent article « Nouvelles du LS2 », l’ancien arrêt de faisceaux du SPS (situé au point 1 de l’anneau de l’accélérateur) est remplacé par un nouveau, au point 5, en prévision du LHC à haute luminosité (HL-LHC). Étant donné que l’ancien dispositif n’aurait pas été en mesure de supporter les intensités de faisceaux plus élevées exigées pour le HL-LHC, qui entrera en service en 2026, l’équipe du SPS a décidé il y a cinq ans de construire un nouvel arrêt de faisceaux présentant les propriétés requises. Cela était nécessaire car, avec les intensités plus élevées à venir, le dispositif d’arrêt sera soumis pendant sa durée de vie à des forces mécaniques bien plus grandes, et devra donc être plus robuste que le dispositif précédent.
« Nous avons envisagé de construire un dispositif d’arrêt externe, hors du tunnel du SPS, semblable à celui dont dispose le LHC, explique Étienne Carlier, du département Technologie du CERN. Mais la gamme étendue et dynamique de faisceaux que fournit le SPS rendrait impossible l’extraction des différents faisceaux avec un seul système. Nous avons donc décidé d’utiliser un dispositif d’arrêt interne, qui fasse partie intégrante du SPS. » La construction de cet absorbeur de faisceaux est l’une des tâches les plus importantes réalisées dans le cadre du projet LIU, et environ 125 mètres du tunnel du SPS seront modifiés pour lui faire de la place. Plusieurs défis nous attendent, notamment en ce qui concerne l’infrastructure requise, qui comprend de nouveaux aimants de déflexion rapide, un système optique pour le suivi de la position du faisceau, et des systèmes de refroidissement et de ventilation.
Les aimants de déflexion rapide situés en amont d’un arrêt de faisceaux d’un accélérateur sont responsables de faire dévier le faisceau de sa trajectoire habituelle pour l’envoyer vers le bloc d’arrêt. Ils doivent pour ce faire générer, à un instant précis, les impulsions électromagnétiques appropriées, dans le plan horizontal et dans le plan vertical. Le système des aimants de déflexion rapide verticaux crée une impulsion maximale de 650 MW pendant une révolution du SPS, avec l’aide du réseau générateur d’impulsions le plus puissant construit au CERN. Ce système utilise deux interrupteurs à semi-conducteurs redondants de 36 kV, nouvellement développés, qui fonctionneront en parallèle pour la protection de la machine, afin de transmettre à l’aimant l’énergie stockée. « L’aimant de déflexion rapide dévie et dilue le faisceau de sorte qu’il puisse être absorbé le long du cœur de l’arrêt de faisceau, précise Étienne Carlier. Et comme il doit toujours dévier le faisceau vers le même angle, indépendamment de l’énergie de celui-ci, la charge accumulée dans la batterie de condensateurs est proportionnelle à l’énergie des faisceaux en circulation. »
Les opérateurs du SPS doivent savoir si les faisceaux sont arrêtés correctement ou non, en observant leur forme et leur répartition lorsqu’ils pénètrent dans le volume du dispositif d’arrêt. « Nour avons besoin de cette information pour savoir si l’absorbeur a un profil thermique uniforme lorsque les faisceaux y entrent », poursuit Étienne Carlier. Le profil du faisceau sera enregistré au moyen d’un écran installé sur la trajectoire des faisceaux qui sont arrêtés, dans le cadre d’un système de « télévision pour l’instrumentation de faisceau ». Ce système complexe est formé d’une ligne optique de 17 m de longueur et de cinq miroirs optiques de haute qualité, qui transfèrent l’image du faisceau de l’écran à une caméra soigneusement blindée située à l’extérieur de l’absorbeur, que les opérateurs peuvent suivre à distance en temps réel.
L’arrêt de faisceaux aura un secteur de vide spécialement consacré, qui entourera l’ensemble de la structure. Le cœur du dispositif sera entouré d’un blindage en cuivre et il sera refroidi par eau, tandis qu’un système de ventilation, en plus de contribuer au refroidissement, empêchera que l’air soit activé par le rayonnement au coeur du dispositif. Après le LS2 et avant que le SPS reçoive les faisceaux, l’absorbeur fera l’objet d’une phase d’étuvage dans le tunnel, pendant laquelle le graphite composant sa partie interne sera chauffé à 200 °C. Plus tard, pendant l’exploitation de la machine, le bloc de l’arrêt sera chauffé à des températures plus élevées, sous l’impact des faisceaux, et la pression à l’intérieur de l’absorbeur augmentera temporairement jusqu’à ce que les blocs soient conditionnés.
Les préparatifs visant à accueillir la gigantesque structure sont en cours dans les cavernes souterraines et les tunnels du complexe du SPS, tandis que l’absorbeur lui-même prend forme en surface. La structure d’appui contre laquelle le dispositif sera placé est actuellement assemblée dans la caverne appelée ECX5, qui avait accueilli auparavant le détecteur UA1. Cette structure doit être composée d’un béton spécial, contenant des niveaux de cobalt et d’europium extrêmement faibles ; ces éléments sont facilement activés par les rayonnements, et ils resteraient donc longtemps chauds. Les éviter revient cher, mais cela permet que la structure d’appui n’absorbe pas trop de rayonnement pendant la durée de vie de l’absorbeur. La base de la structure d’appui sera fixée au sol, tandis que la couche située juste au-dessous de l’absorbeur sera composée de blocs de béton mobiles.
Les travaux de génie civil doivent durer jusqu’à la fin de cette année, après quoi l’arrêt de faisceaux commencera à être assemblé dans sa future demeure. Pendant les mois restant du LS2, l’absorbeur et les services associés seront préparés en vue des faisceaux qui arriveront en 2021, quand le LHC entamera sa troisième période d'exploitation.
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