Le lundi 17 juillet à 1 heure du matin, les faisceaux du LHC sont éjectés en raison d'une perturbation électrique. Quelque 300 millisecondes plus tard, plusieurs aimants perdent leur état supraconducteur (il se produit une transition résistive, ou « quench »). Dans ce cas, l'aimant s'échauffe, ce qui échauffe à son tour l'hélium liquide qui l'entoure et fait augmenter la pression.
Cette séquence d'événements, bien que peu fréquente, est un processus normal qui protège le câble supraconducteur de l'aimant en cas d'anomalie électrique ; la contrainte mécanique exercée sur différentes parties de l'aimant peut être assez forte.
Parmi les aimants touchés par la transition résistive le 17 figuraient ceux du triplet interne situé à gauche du point 8, qui jouent un rôle crucial dans la focalisation des faisceaux pour l'expérience. Malheureusement, cette fois-ci, les transitions provoquent une fuite d'hélium dans ces aimants et obligent à interrompre le fonctionnement du LHC.
Suivez en images la course contre la montre menée sur dix jours par l'équipe de réparation.

La cause de l'anomalie électrique qui a amené les système de sécurité du LHC à éjecter le faisceau et a entraîné la transition résistive de plusieurs aimants a été découverte : un arbre situé côté suisse (à environ 55 km du CERN, dans le canton de Vaud) s'est abattu sur les lignes d'alimentation électrique, et a perturbé le réseau.

10 heures plus tard, entrant dans le tunnel, l'équipe chargé de l'enquête découvre que les cryostats* des aimants du triplet, à proximité du point 8, sont partiellement recouverts de glace. Des tests permettent de confirmer rapidement qu'une petite quantité d'hélium s'est échappée, remplissant le vide d'isolation.
Des mesures sont prises immédiatement : les aimants adjacents sont isolés du point de vue électrique, les circuits sont déconnectés et mis à la terre, et les chaufferettes de ce secteur sont débranchées. De plus, pour permettre les travaux sur le triplet, il faut stabiliser les 3 km d'aimants supraconducteurs du secteur à une température de 20 K, au lieu des 2 k (-271°C) habituels.
*Tous les aimants supraconducteurs du LHC sont insérés dans des cryostats. En fonctionnement normal, la paroi externe du cryostat est à température ambiante, alors que l'aimant fonctionne à une température de 2 K. Le cryostat est conçu pour maintenir l'aimant à cette température très basse en éliminant autant que possible l'apport de chaleur, en particulier grâce au vide d'isolation.

La position exacte de la fuite d'hélium dans le cryostat de 50 m de longueur n'est pas encore connue. Le mardi 18 juillet, les tests de vibration et les tests acoustiques ont eu lieu. À l'aide d'accéléromètres et de microphones, l'équipe d'intervention détecte clairement un signal dans la zone d'interconnexion entre le premier quadripôle (Q1) et le deuxième (Q2). En outre, des radiographies montrent un étirement du soufflet sur l'un des tuyaux présents dans les aimants supraconducteurs. On emploie des soufflets pour les raccords mécaniques entre deux aimants, car ils apportent de la flexibilité. Dans le cas présent, le soufflet étiré est situé sur la ligne M2, qui contient les connexions d'instrumentation.

Les équipes d'intervention décident qu'il faut ouvrir l'interconnexion entre les deux quadripôles pour examen et réparation. Pour rendre possible une intervention en toute sécurité, le secteur entourant les aimants a été vidé de son hélium liquide. En parallèle, une évaluation de la qualité électrique a montré que les circuits électriques du triplet étaient en bon état – le problème ne vient pas de là.
Des équipes d'experts de différents groupes du CERN (sécurité, vide, cryogénie, aimants, ingénierie, alimentation électrique, protection des aimants, métrologie, instrumentation de faisceau, opérations) discutent sur la façon de traiter un problème qui n'a jamais été rencontré auparavant sur une chaîne d'aimants en place depuis 15 ans, avant d'élaborer une procédure.

L'intégralité du cryostat du triplet est à température ambiante. Le soufflet externe et les boucliers thermiques internes situés à l'interconnexion Q1-Q2 ont été retirés afin de permettre l'inspection des lignes d'hélium internes.

Le soufflet présentant une fuite, dans la ligne M2.

Les équipes localisent le soufflet M2, soupçonné d'être à l'origine du problème et, effectivement, découvrent sur cette pièce une fissure de 1,6 mm de longueur, à l'origine de la fuite d'hélium. Un plan d'action est alors établi : retirer le soufflet abîmé, le remplacer, effectuer tous les tests nécessaires, refermer l'interconnexion et entamer la descente en température...
... le tout en moins de dix jours. Sinon, il sera impossible d'éviter un réchauffement complet du secteur du LHC touché par l'incident, ce qui mettra un terme à tout le programme de physique au LHC pour 2023.

Pendant qu'on découpe le soufflet abîmé, l'équipe de vide effectue des tests de pression et de fuite sur les pièces de rechange afin de vérifier leur adaptabilité, en vue de préparer une pièce de rechange pour la réparation dans le tunnel.

Des experts discutent des solutions possibles de réparation sur site, sous la direction de Sandrine Le Naour et de Said Atieh.

Le nouveau soufflet est en place. À gauche : l'instrumentation est insérée dans le nouveau soufflet. Au centre : tout le monde met la main à la pâte ! À droite : une opération de soudage très pointue.

Graeme Barlow regarde l'interconnexion ouverte, où sont visibles les différents tuyaux. La ligne M assure le transport de l'hélium entre les aimants (M1 contient le jeu de barres assurant la connexion électrique, M2 contient les connexions d'instrumentation et M4 a une fonction cryogénique). Au milieu se trouve le tube de faisceau, où circulent les particules. Le soufflet M2 est à peine visible entre la ligne M1 et le tube de faisceau.


Les équipes chargées du vide et de la connexion mécanique discutent du plan d'action alors que la réparation est en cours.

Il y a souvent deux équipes en action en même temps : à gauche, réinstallation des câbles du systèmes BPM (détecteur de position de faisceau) ; à droite, démarrage du test de fuite sur le nouveau soufflet.

L'équipe chargée du vide en train d'installer les outils de test de fuite.



Pendant l'ouverture de l'interconnexion Q1-Q2, il a fallu retirer les câbles du système de détection de la position du faisceau (système BPM). Ici, la réinstallation des câbles est en cours.

Sandrine Le Naour (tout à droite) évaluant l'avancement des opérations. C'est elle qui a coordonné les interventions mécaniques nécessaires pour l'ouverture des interconnexions des aimants, puis les opérations de refermeture.


Wim Maan et Marcel Knoch vérifient l'étanchéité de la soudure finale.

Le soufflet M2 complètement réparé. Le soufflet est entouré d'une coque extérieure qui le maintient et guide ses mouvements lorsque l'hélium est pressurisé pendant différentes phases opérationnelles du LHC.

Le soufflet est réparé et un test de fuite concluant a lieu dans les dix jours requis. Même s'il reste beaucoup à faire pour refermer l'interconnexion, on entrevoit le bout du tunnel. Une fois que les équipes auront rétabli le vide et refroidi à nouveau les aimants, le LHC pourra redémarrer.
L'équipe Opérations du LHC a bon espoir de voir revenir le faisceau dans l'accélérateur début septembre.
Dans cette vidéo, Paul Cruikshank, l'un des coordinateurs de l'opération, explique les réparations effectuées :