Cette semaine, ISOLDE, l'installation de physique nucléaire du CERN, fête ses 50 ans. Après un demi-siècle passé à étudier les isotopes radioactifs, l'installation s'apprête à entamer un nouveau chapitre de son histoire, alors que son amélioration dans le cadre du projet HIE-ISOLDE est sur le point d'être achevée.

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Regardez le quatrième documentaire de notre série sur ISOLDE pour en savoir plus sur HIE-ISOLDE et sur les personnes qui travaillent sur ce projet. (Video: Christoph Madsen/CERN)

Le projet HIE-ISOLDE (ISOLDE à haute intensité et haute énergie), qui permet à ISOLDE d'envoyer sur ses cibles des faisceaux d'isotopes de plus haute énergie, est l'occasion pour l'installation de faire peau neuve. Les physiciens espèrent que cette amélioration permettra à ISOLDE de poursuivre ses recherches à la pointe de son domaine pendant les dix ou quinze prochaines années.

Actuellement, pour produire des isotopes radioactifs, ISOLDE récupère des faisceaux de protons de l'un des accélérateurs du CERN, le Booster du Synchrotron à protons (PSB), et les envoie sur une cible. Cette dernière produit alors de nombreux isotopes radioactifs, qui peuvent être dirigés vers diverses expériences via des lignes de faisceau. HIE-ISOLDE utilise un nouvel accélérateur linéaire (linac), unique en son genre, pour récupérer ces faisceaux et les réaccélérer, avant de les envoyer sur des cibles secondaires, où se produisent des réactions nucléaires.

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Le nouveau linac devait s'intercaler dans un espace de 16 mètres maximum. « Nous avons dû mettre au point un linac très compact. C'est ce qui le rend si particulier. Dans les autres installations, chaque cavité dispose de son propre cryostat, mais si nous avions procédé de la même manière, le linac aurait été beaucoup trop long. Nous avons donc rassemblé les cryostats en un seul cryomodule. Nous devions aussi adapter les solénoïdes, dont la longueur est pratiquement égale à celle des cavités. Nous sommes passés par un long processus de réflexion, de recherche et de développement. Le plus difficile était d'adapter leur taille : à certains endroits, nous n’avions pas plus d’un millimètre à disposition », explique Yacine Kadi, chef du projet HIE-ISOLDE. (Image: Maximilien Brice/CERN)

« Le nombre de protons est ce qui distingue un élément de tous les autres. Plus ce nombre est élevé, plus l'élément est lourd. Un même élément peut toutefois se présenter sous la forme d'isotopes différents, qui contiennent le même nombre de protons, mais un nombre de neutrons différent », explique Liam Gaffney, qui travaille sur le détecteur Miniball, rattaché à l'une des lignes de faisceau d'HIE-ISOLDE.

Les physiciens utilisent ces isotopes pour explorer tout un ensemble de domaines, par exemple, pour reproduire les réactions qui se déroulent dans les étoiles ou encore pour étudier la structure interne et la forme de noyaux exotiques, contribuant ainsi à élargir notre connaissance du monde qui nous entoure.

« Auparavant, nous ne pouvions pas réaliser toutes les réactions que nous voulions avec les isotopes radioactifs, car l'énergie des faisceaux était insuffisante. Pour étudier la forme des noyaux des éléments les plus lourds, nous avons besoin d'énergies particulièrement élevées afin de surmonter les effets d'une augmentation de la charge des noyaux. Qui dit plus de protons, dit charge totale positive plus élevée, et puisque deux noyaux chargés positivement se repoussent, une énergie supérieure est nécessaire pour provoquer leur collision », poursuit-il.

« Les hautes énergies nous ouvrent de nouveaux horizons. Nous avions atteint une première étape avec le relèvement d'énergie dans le cadre du projet REX en 2001, quand ISOLDE a pu, pour la première fois, réaccélérer des isotopes. Mais avec le projet HIE-ISOLDE, c'est tout un monde qui s'ouvre à nous », s'enthousiasme Karl Johnston, coordinateur de la physique d'ISOLDE, qui espère que davantage encore d'applications verront le jour à ISOLDE avec cette nouvelle amélioration.

Projets futurs

Grâce au relèvement de son énergie, l'installation ISOLDE pourra recueillir des données sur les propriétés de nucléides jusqu'alors inaccessibles. Une fois l'amélioration terminée, les chercheurs pourront enfin étudier des isotopes contenant encore moins ou encore plus de neutrons, et donc moins stables et plus difficiles à produire en laboratoire.

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Actuellement, trois expériences peuvent se dérouler simultanément auprès d'HIE-ISOLDE. À terme, au moins sept expériences par année devraient y être réalisées. Sur cette image, vous voyez le détecteur Miniball, station permanente rattachée au linac. De nombreuses expériences différentes peuvent y avoir lieu. (Image : Julien Ordan/CERN)

« À de plus hautes énergies, nous pouvons considérablement élargir nos recherches. Nous nous concentrons sur des questions fondamentales concernant la structure des noyaux, précise Liam Gaffney. Nous analysons des réactions qui ont lieu dans les étoiles pour comprendre comment les différents éléments sont produits. Nous nous demandons entre autres pourquoi il y a autant d'éléments lourds comme l'uranium sur Terre. »

« HIE-ISOLDE est une avancée majeure, résultat de près de huit ans de recherche, de développement, de fabrication de prototypes et de conception. C'est une grande aventure, et ce n'est pas la machine elle-même qui fait notre plus grande fierté, mais les découvertes réalisées et l'enthousiasme des nouveaux utilisateurs », s'exclame Maria Borge, qui a dirigé l'équipe d'ISOLDE de 2012 à 2017.

Défi relevé

« Les ingénieurs me disaient que c'était mission impossible»
- Yacine Kadi, chef du project HIE-ISOLDE

Construire une machine de cette envergure n'a pas été chose facile. Yacine Kadi, chef du projet HIE-ISOLDE, ne peut s'empêcher de rire en dressant la liste de tous les problèmes rencontrés.

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Chaque cryomodule contient plus de 10 000 pièces, qui doivent toutes être soigneusement nettoyées, étalonnées et mises en place. (Image: Maximilien Brice/CERN)

Du fait des ressources limitées, les phases de conception et de développement du projet avaient été en grande partie confiées à des chercheurs en début de carrière. C'était un risque calculé : « Nous n'avions que très peu de ressources pour recruter du personnel. Mais nous avons fait en sorte de ne retenir que les meilleurs ; nous n'avions pas d'autre choix, et ils s'en sont tirés à merveille. Mais ils ont dû partir avant la fin du projet ! » explique Yacine.

Yacine a dû lui-même relever de nombreux défis, notamment trouver un autre matériau de construction quand le niobium métallique s'est révélé trop coûteux,et retravailler les plans d'origine afin d’éviter la construction d’un bâtiment à cheval sur la frontière franco-suisse.

« Les ingénieurs me disaient que c'était mission impossible, se rappelle-t-il. Le projet était grand et complexe. Nous n'avions que très peu d'expérience en la matière pour guider nos décisions. Nous devions donc trouver des idées innovantes tout en tirant parti des avancées technologiques réalisées au CERN pour le Grand collisionneur électron-positon (LEP). Au bout du compte, c'est l'inventivité de nos physiciens et de notre personnel technique qui nous ont permis de réussir. »

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Le Tyrannosaure Rex est la mascotte de l'expérience REX, un post-accélérateur qui fonctionnait aupravant à ISOLDE. (Image : Julien Ordan/CERN)

HIE-ISOLDE est unique de par sa conception, car il fallait concentrer une grande puissance d'accélération dans un volume très limité. Pour accélérer un faisceau, les linacs utilisent des cavités radiofréquence. D'ordinaire, chacune de ces cavités est placée à l'intérieur de l'accélérateur, dans son propre cryostat, une chambre à vide qui refroidit la cavité afin que l'hélium nécessaire aux supraconducteurs reste liquide. Mais HIE-ISOLDE ne dispose pas de la place suffisante pour que chaque cavité ait son propre cryostat. Afin que le système reste compact, les ingénieurs ont construit des cryomodules contenant chacun cinq cavités, mais n'exigeant qu'un seul système cryogénique.

« D'un point de vue technique, HIE-ISOLDE était effectivement un défi, mais pour moi c'était surtout une aventure humaine. Ce projet m'a permis d'élargir mon champ de connaissances et de travailler dans des domaines différents. J'ai pu rencontrer des personnes que je n'aurais jamais eu l'occasion de côtoyer autrement, même si je passais 40 ans au CERN », poursuit-t-il.

L'amélioration d'ISOLDE est sur le point d'être achevée, et l'installation a déjà connu deux périodes d'exploitation à succès, avec plus d'une quinzaine d'expériences. Le dernier des quatre cryomodules supraconducteurs sera installé pendant l'arrêt hivernal 2017-2018, et permettra à la machine d'accélérer des faisceaux radioactifs à des énergies de 10 MeV/u.

« D'autres accélérateurs dans le monde peuvent atteindre ces énergies, mais aucun d'entre eux ne peut accélérer des noyaux très lourds. Nous sommes les seuls à pouvoir le faire », souligne Maria Borge, insistant sur l'importance de cette amélioration, qui garantit à ISOLDE sa place à la pointe de la physique nucléaire pour les années à venir.

Vous trouverez les autres articles de la série ici.