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Interactions dans un plasma quarks-gluons : la masse a son importance

Une nouvelle analyse effectuée par la collaboration ALICE confirme le rôle attendu de la masse des quarks dans leurs interactions avec un plasma quarks-gluons

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Closing the doors of the ALICE magnet
Vue de l’expérience ALICE lors de la fermeture des portes de l’aimant (Image: CERN)

Contrairement aux électrons, les quarks ne peuvent se déplacer librement dans la matière ordinaire. Ils sont confinés par la force forte à l’intérieur des hadrons, et notamment des protons et des neutrons qui composent le noyau atomique. Toutefois, à des densités d’énergie très élevées, comme celles obtenues lors des collisions entre les noyaux au Grand collisionneur de hadrons (LHC), il existe une phase différente de la matière dans laquelle les quarks et les gluons, lesquels sont les médiateurs de la force forte, ne sont pas confinés à l’intérieur des hadrons. Cette forme de matière, appelée « plasma quarks-gluons », aurait été prévalente dans l’Univers avant la formation des noyaux atomiques, soit pendant quelques millionièmes de seconde après le Big Bang.

Lors d’une conférence tenue le 25 mars lors des Rencontres de Moriond, la collaboration ALICE au LHC a rendu compte d’une analyse des collisions frontales entre des noyaux de plomb montrant que la masse des quarks a son importance dans l’analyse des interactions qui se produisent lorsqu’ils traversent un plasma quarks-gluons.

Les hadrons contenant des quarks charme et beauté, les cousins les plus lourds des quarks up et down qui constituent les protons et les neutrons, offrent un excellent moyen d’étudier les propriétés du plasma quarks-gluons, notamment sa densité. Un quark charme est bien plus lourd qu’un proton, et la masse d’un quark beauté est cinq fois supérieure à celle d’un proton. Ces quarks sont produits aux tout premiers instants des collisions entre les noyaux, avant la formation du plasma quarks-gluons qu’ils traversent ensuite. Ainsi, ils interagissent avec les constituants du plasma tout au long de son évolution.

Tout comme des particules chargées électriquement peuvent nous renseigner sur la densité d’un gaz ordinaire en traversant celui-ci, par l’énergie qu’elles perdent au cours de ce trajet, la perte d’énergie subie par les quarks lourds dans les interactions fortes avec les constituants du plasma peut être utilisée pour déterminer la densité du plasma quarks-gluons traversé. Toutefois, avant de pouvoir utiliser la perte d’énergie dans le plasma pour mesurer sa densité, les physiciens doivent valider la description théorique de cette perte.

Selon une prédiction fondamentale de la théorie de la force forte, les quarks dont la masse est la plus importante perdent moins d’énergie que leurs équivalents plus légers, en raison d’un mécanisme appelé « effet de cône mort ». Ce mécanisme empêche le rayonnement de gluons et, par conséquent, d’énergie, dans un cône qui entoure la direction de vol des quarks.

Dans le cadre de sa nouvelle étude des collisions frontales entre les noyaux de plomb, la collaboration ALICE a évalué cette prédiction à l’aide de mesures de particules contenant des quarks charme appelées « mésons D ». Les scientifiques ont mesuré les mésons D produits immédiatement après les collisions issues des quarks charme initiaux (appelés mésons D « prompts ») ainsi que les mésons D « non prompts » produits plus tard lors de la désintégration des mésons B, lesquels contiennent les quarks beauté, plus lourds. Les scientifiques ont présenté les mesures en termes de facteur de modification nucléaire – il s’agit d’un rapport entre la production de particules qui a lieu lors de collisions plomb-plomb et celle qui a lieu lors des collisions proton-proton (voir le graphique ci-dessous). Il a ainsi été déterminé que la production de mésons D non prompts (représentés par les repères bleus sur le graphique) lors des collisions plomb-plomb est moins réduite que celle des mésons D prompts (repères rouges).

home.cern,Experiments and Tracks

Comparaison du facteur de modification nucléaire des mésons D produits par les quarks charme initiaux (en rouge) et par la désintégration des hadrons contenant des quarks beauté (en bleu), en fonction de l’impulsion transversale des particules. La réduction de la production de particules (écart par rapport à l’unité) est attribuée aux interactions des quarks dans le plasma quarks-gluons. (Image: CERN)

Ces résultats sont bien décrits par les modèles selon lesquels les quarks beauté perdent moins d’énergie que les quarks charme dans le plasma quarks-gluons, en raison de leur masse plus importante. Cela confirme ainsi les attentes théoriques concernant le rôle de la masse des quarks dans les interactions des quarks avec le plasma quarks-gluons. En outre, les mesures prennent en compte les mésons B dont l’énergie est faible. Cet aspect est essentiel s’agissant de l’utilisation des quarks beauté pour déterminer la densité et d’autres propriétés du plasma.

D’autres mesures seront réalisées avec la version améliorée du détecteur ALICE lors de la prochaine exploitation du LHC, qui devrait démarrer cet été. Elles permettront de mieux comprendre la description théorique de la perte d’énergie subie par les quarks lorsqu’ils traversent le plasma quarks-gluons.

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Pour en savoir plus, voir le site web de l’expérience ALICE (en anglais).