L’expérience LHCb au CERN a tendance à découvrir des combinaisons exotiques de quarks, ces particules élémentaires qui s’assemblent pour constituer des particules composites, telles que le proton et le neutron, bien connus de tous. LHCb a observé en particulier plusieurs tétraquarks, constitués, comme leur nom l’indique, de quatre quarks, ou plutôt de deux quarks et de deux antiquarks. L’observation de ces particules inhabituelles fait progresser notre connaissance de la force forte, l’une des quatre forces fondamentales connues dans l’Univers. Lors d’un séminaire du CERN qui s’est tenu en ligne le 11 août dernier, LHCb a annoncé avoir repéré pour la première fois un type de tétraquark totalement inédit, à une masse de 2,9 GeV/c2. Il s’agit de la première particule de ce type ne comprenant qu’un seul quark c.
L’existence des quarks (et de leur pendant, les antiquarks) a été postulée pour la première fois en 1964. Les scientifiques ont observé en laboratoire six catégories de quarks : le quark u (up), le quark d (down), le quark c (charm ou charmé), le quark s (strange ou étrange), le quark t (top) et le quark b (bottom). Les quarks ne pouvant exister indépendamment, ils se groupent pour former des particules composites : ainsi, les baryons sont composés de trois quarks et de trois antiquarks et les mésons d’un quark et d’un antiquark.
Le détecteur LHCb, auprès du Grand collisionneur de hadrons (LHC), est consacré à l’étude des mésons B, qui contiennent soit un quark b, soit un antiquark b. Peu après leur production dans des collisions proton-proton au LHC, ces mésons lourds se transforment, se désintégrant en diverses particules plus légères, qui peuvent à leur tour connaître des transformations. C’est dans l’une de ces désintégrations que les scientifiques de LHCb ont repéré le nouveau tétraquark, formé à l’occasion d’une désintégration d’un méson B+ en un méson D+, un méson D− et un kaon K+ : B+→D+D−K+. Sur l’ensemble des données enregistrées jusqu’à présent par le détecteur LHCb, les scientifiques ont étudié un total de 1 300 événements candidats pour cette désintégration particulière.
Le modèle des quarks, théorie bien établie, prévoit que certaines des paires D+D− observées pendant cette transformation pourraient être le résultat de particules intermédiaires, par exemple, le méson ψ(3770), qui ne se manifestent que de façon éphémère : B+→ψ(3770)K+→D+D−K+. Cependant, la théorie ne prédit pas que des particules de type mésons interviennent pour donner une paire D−K+. Les scientifiques de LHCb ont par conséquent été surpris de constater la présence dans leurs données d’une bande claire correspondant à un état intermédiaire se transformant en paire D−K+, à une masse d’environ 2,9 GeV/c2, soit approximativement trois fois la masse d’un proton.
Ces données ont été interprétées comme constituant le premier signe de l’existence d’un état exotique, composé d’un antiquark c, d’un quark u, d’un quark d et d’un antiquark s (c̄uds̄). Auparavant, tous les états observés par LHCb évoquant un tétraquark comportaient toujours une paire charme-anticharme, avec une charge de saveur charmée égale à 0. Là, pour la première fois, on a observé un tétraquark ne contenant qu’un seul quark c, autrement dit un « tétraquark à charme apparent ».
« La première fois que nous avons constaté un excédent d’événements dans nos données, nous avons cru à une erreur, explique Dan Johnson, qui a mené cette étude à LHCb. Après des années passées à analyser les données, nous avons admis que quelque chose de vraiment surprenant s’était produit ! »
Pourquoi est-ce important ? Il se trouve que les scientifiques ne se sont toujours pas mis d’accord sur ce qu’est réellement un tétraquark. Selon certains modèles théoriques, les tétraquarks seraient des paires de mésons liées temporairement, selon un modèle « moléculaire ». D’autres modèles théoriques les considèrent plutôt comme une seule et même unité constituée de quatre particules. L’identification de nouveaux types de tétraquarks et la mesure de leurs propriétés, telles que le spin (leur orientation spatiale intrinsèque) et la parité (leur apparence quand on les compare à leur image miroir), permettront de mieux connaître ces habitants exotiques du monde subatomique. Pour D. Johnson, « cette découverte va aussi nous permettre de mettre nos théories à l’épreuve dans un domaine totalement nouveau. »
Si les observations de LHCb constituent un premier pas important, il faudra disposer de plus de données pour pouvoir confirmer la nature de la structure observée pendant la désintégration du méson B+. La collaboration LHCb attend par ailleurs une vérification indépendante de sa découverte, dans le cadre d’autres expériences de physique des B, telles que Belle II. Pendant ce temps, LHCb continue à nous apporter de nouveaux résultats, toujours passionnants, qui donneront du grain à moudre tant aux expérimentateurs qu’aux théoriciens.
- Plus d’informations sur le site de LHCb : lhcb-public.web.cern.ch/#Tcs
- Enregistrement du séminaire annonçant la découverte : cds.cern.ch/record/2727788
- Présentation du séminaire à télécharger : indico.cern.ch/event/900975/ attachments/ 2084266/3505641/ 20-08Aug-11_DanJohnson.pdf
- Les articles (en anglais):
- A model-independent study of resonant structure in B+→D+D−K+ decays: arxiv.org/abs/2009.00025
- Amplitude analysis of the B+→D+D−K+ decay: arxiv.org/abs/2009.00026