Les noyaux atomiques n'ont que deux constituants, les protons et les neutrons, mais la proportion relative des uns et des autres peut changer radicalement leurs propriétés. Certaines configurations au sein du noyau, comportant des « nombres magiques » de protons ou de neutrons et correspondant à des couches complètes, sont plus liées que d'autres. Les noyaux comprenant des couches complètes à la fois de protons et de neutrons, sont quant à eux qualifiés de « doublement magiques » ; ils présentent une énergie de liaison particulièrement élevée et sont de bon objets d'étude pour les recherches sur les propriétés du noyau.
Dans un article qui vient d'être publié dans Nature Physics, Maxime Mougeot, du CERN, et des collègues décrivent des calculs théoriques et des résultats expérimentaux produits à l'installation du CERN ISOLDE, portant sur l'un des noyaux doublement magiques les plus emblématiques : l'étain-100.
Constitué de 50 protons et 50 neutrons, l'étain-100 est particulièrement intéressant pour les études de structure nucléaire car, en plus d'être doublement magique, c'est le plus lourd des noyaux constitués du même nombre de protons et de neutrons. Cette caractéristique entraîne une des désintégrations bêta les plus fortes (la désintégration bêta consiste en l'émission d'un positon aboutissant à la transformation en un autre noyau).
Les études de la désintégration bêta de l'étain-100 sont compliquées, car cet isotope est difficile à produire. De plus, les deux études les plus récentes dans le domaine, Lubos et al. à RIKEN, au Japon, et Hinke et al. à GSI, en Allemagne, concluent à des valeurs différentes pour l'énergie produite dans la désintégration, ce qui entraîne des valeurs divergentes pour la masse de l'étain-100.
De nouveaux dispositifs à l'installation ISOLDE ont permis la production de noyaux voisins : indium-101, indium-100 et indium-99, qui comptent un seul proton de moins que l'étain-100. Dans leur nouvelle étude, M. Mougeot et ses collègues ont utilisé l'ensemble du dispositif expérimental de l'installation ISOLTRAP pour mesurer les masses de ces noyaux qui font désormais partie de la famille ISOLDE, et en particulier la masse de l'indium-100.
« La masse de l'étain-100 peut être dérivée à partir de la masse de l'indium-100 et de l'énergie dégagée par la désintégration bêta qui transforme l'étain-100 en indium-100, » précise M. Mougeot, « Ainsi, notre mesure de la masse de l'indium-100 est une voie détournée pour étudier en fait ce noyau doublement magique, si emblématique. »
La mesure de la masse de l'indium-100 par ISOLTRAP est 90 fois plus précise que la mesure précédente, et ce résultat a accentué l'écart entre les valeurs de la masse de l'étain-100 déduites des deux études citées.
Les chercheurs ont ensuite effectué des comparaisons entre les masses mesurées des noyaux d'indium et de nouveaux calculs théoriques ab initio, qui s'efforcent d'arriver à une description du noyau sur la base des principes premiers. Ces comparaisons vont davantage dans le sens du résultat de l'étude de Hinke et al. que dans celui trouvé dans l'étude de Lubos et al. De plus, elles montrent une très bonne correspondance entre les mesures et les calculs, ce qui conforte les chercheurs dans l'idée que les calculs théoriques peuvent donner une description fidèle de la physique compliquée située au coeur de l'étain-100 et des isotopes indium voisins.