Dans la célèbre expérience des fentes de Young, une figure d'interférence composée de bandes sombres et brillantes apparaît au moment où un faisceau de lumière vient frapper deux fentes. Le même effet a été observé avec des électrons ou des protons, démontrant la nature ondulatoire des particules en mouvement en mécanique quantique. En règle générale, ce type d’expérience produit des figures d'interférence à l'échelle du nanomètre. Dans une étude récente, la collaboration ALICE a mesuré une figure d'interférence similaire à l'échelle du femtomètre (1 femtomètre = 10-15 mètre) en s’appuyant sur des collisions ultra-périphériques entre noyaux de plomb dans le Grand collisionneur de hadrons (LHC).
Lors d’une collision ultra-périphérique entre deux noyaux lourds, les noyaux passent à proximité l'un de l'autre sans entrer en collision. Ici, la distance perpendiculaire entre les deux noyaux – le paramètre d'impact – est plus grande que la somme de leurs rayons, et un noyau émet un photon qui se transforme en une paire virtuelle composée d'un quark et de son partenaire dans l’antimatière. Cette paire interagit fortement avec l'autre noyau, ce qui provoque l'émission d'un type de particule appelé « méson vecteur » ainsi que l'échange de deux gluons (voir l’illustration ci-dessus). Cette photoproduction de mésons vecteurs est un moyen reconnu de sonder la structure interne des noyaux en collision.
Lors de la photoproduction de mésons vecteurs mettant en jeu des systèmes symétriques, tels que deux noyaux de plomb, il n'est pas possible de déterminer lequel des noyaux émet le photon et lequel émet les deux gluons. De plus, du fait de la courte portée de la force forte entre la paire virtuelle quark-antiquark et le noyau, les mésons vecteurs sont produits à l'intérieur ou à proximité de l'un des deux noyaux, qui sont bien séparés. Pour cette raison, et du fait de leur durée de vie relativement courte, les mésons vecteurs se désintègrent assez rapidement en d'autres particules. Les produits de désintégration ainsi obtenus forment un état intriqué du point de vue de la mécanique quantique et génèrent une figure d'interférence semblable à celle d'un interféromètre à double fente (voir l’illustration ci-dessus).
Lors de la photoproduction du méson vecteur rhô neutre (ρ0), objet de la récente étude de la collaboration ALICE, la figure d'interférence prend la forme d'une modulation cos(2φ) de la production de ρ0, où φ est l'angle entre les deux vecteurs résultant de la somme et de la différence des impulsions transversales des deux pions de charge opposée qui sont les produits de la désintégration du méson ρ0. L'intensité de la modulation est censée augmenter à mesure que le paramètre d'impact diminue.
À partir d’un ensemble de données correspondant à 57 000 mésons ρ0 produits dans des collisions plomb-plomb à une énergie de 5,02 téraélectronvolts par paire de nucléons (protons et neutrons) pendant la deuxième période d’exploitation du LHC, l'équipe d'ALICE a mesuré la modulation cos(2φ) de la production de ρ0 pour différentes valeurs du paramètre d'impact. Les mesures ont montré que l'intensité de la modulation varie fortement en fonction du paramètre d'impact, dont la valeur est de l'ordre du femtomètre (voir l’illustration ci-dessous). D’après les calculs théoriques, ce comportement est bien le résultat d'un effet d'interférence quantique à l'échelle du femtomètre.
La troisième période d’exploitation du LHC, en cours, et la quatrième période d’exploitation qui suivra devraient permettre à ALICE de collecter plus de 15 millions de mésons ρ0 dans des collisions plomb-plomb. Grâce à ce plus grand volume de données, il sera possible de procéder à une analyse plus approfondie de l'effet d'interférence.