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La Fondation TERA fête ses 30 ans

Le 15 septembre 1992 était créée la Fondation TERA à Novare (Italie). Trente ans plus tard exactement, un colloque a lieu au CERN pour célébrer ses contributions à l'hadronthérapie

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Power test for first prototype LIBO module
Le Linac Booster (LIBO), un prototype d'accélérateur dédié aux applications médicales construit au CERN par une collaboration CERN-INFN-TERA, a démontré pour la première fois l'efficacité des accélérateurs linéaires dans le traitement des tumeurs cancéreuses avec des hadrons. (Image: CERN)

La Piazza Navona sert d'écrin à l'un des monuments les plus célèbres de Rome : la fontaine des Quatre-Fleuves. Ce chef-d'œuvre du Bernin n'est pas seulement un magnifique monument, c'est aussi pour moi un symbole. À mes yeux, il représente, au centre, la science, en particulier la science au CERN, avec les quatre cours d'eau qui en sont issus, représentant les avantages qu'apporte la science à la société sous la forme de savoir, de personnes, de méthodes et de technologies. Depuis la mise en place de TERA nous nous sommes efforcés, en collaboration avec les physiciens et les ingénieurs du CERN et de l'INFN, de canaliser ces cours d'eau pour irriguer le domaine de la radiothérapie contre les tumeurs, apportant ainsi des bénéfices à la société dans son ensemble.

Parmi les principes directeurs que nous avons suivis à TERA, j'en dois un à mon père. Je commençais tout juste mes études de physique en 1952 quand il est devenu secrétaire général du Conseil européen pour la recherche nucléaire, chargé de mettre en place ce qui allait devenir le CERN. Je me souviens qu’il était intimement convaincu que ce laboratoire naissant devait développer en parallèle deux projets d'accélérateur : un projet prudent, afin de pouvoir mettre en route rapidement un programme de recherche, et un autre totalement innovant. Cette vision des choses a conduit à deux machines, le Synchrocyclotron et le Synchrotron à protons, lequel, par rapport à ce qui existait alors, était le LHC de l'époque.

À TERA, nous avons également adopté cette double approche. Pour traiter par ions carbone des tumeurs radiorésistantes, nous avons choisi un synchrotron conventionnel. Notre projet plus ambitieux était la protonthérapie au moyen d'un accélérateur linéaire innovant de 3 Ghz. Deux autres principes que nous avons adoptés d'entrée de jeu étaient la collaboration et la documentation, notions dont j'avais appris à apprécier l'importance pendant les 13 ans où j'ai été porte-parole de DELPHI.

Nous avons travaillé non seulement avec le CERN et l'INFN, mais également avec le GSI et le PSI, et avec de nombreux instituts, hôpitaux et sociétés savantes. Au fil des années nous avons publié plus de 200 rapports, et quatre volumes dénommés par la couleur de leur couverture : verte, bleue, rouge et blanche. Pour compléter la série, les contributions au colloque de cette année seront publiées dans un volume argenté.

L'histoire de TERA remonte à 1990, année où je fus invité par Gaudenzio Vanolo, spécialiste de la vulgarisation scientifique, à donner une conférence à Novare. Avec Giampiero Tosi, expert de grand renom dans le domaine de la physique médicale, nous avons alors publié un article intitulé « Per un Centro di Teleterapia con Adroni ». C'était en mai 1991 et, en août, j'ai eu la chance de discuter de cette idée avec Nicola Cabibbo, président de l'INFN, qui assistait à une conférence à Genève. C'est ainsi qu'un nouveau groupe de l'INFN, appelé ATER, a été établi à Milan ; il était doté d'un budget, mais uniquement pour les voyages, et non pour payer les personnes. C'était un début.

Vanolo devait ensuite jouer un grand rôle dans le projet TERA. C'est lui qui a eu l'idée de créer une fondation chargée de recueillir des financements pour payer les équipes de recherche, et le document instituant la fondation porte sa signature, ainsi que celles d'Elio Borgonovi et de Giampiero Tosi, et la mienne. Vanolo a assumé les fonctions de secrétaire général, puis le conseil d'administration a accueilli en son sein Roberto Orecchia, oncologue et spécialiste de radiothérapie mondialement connu, également invité à prononcer une allocution lors du colloque anniversaire. Les autres étaient Manuela Cirilli, Marco Durante, Fabio Sauli et Maurizio Vretenar.

Le réseau s'est étendu rapidement, avec des membres éminents tels que Börje Larsson, du PSI. Ensemble, nous avons organisé la première Conférence internationale sur l'hadronthérapie à Côme, en octobre 1993. Je suis heureux de pouvoir dire que les actes de cette conférence, édités par Larsson et moi-même et publiés en 1994 sous le titre Hadrontherapy in Oncology, restent une référence en la matière.

Le financement a toujours été un défi. Vanolo et moi avons passé beaucoup de temps à trouver des soutiens financiers, en particulier auprès de fondations ou de riches particuliers. Nos efforts n'ont pas été vains : en trente ans, nous avons pu recueillir quelque 30 millions d'euros, essentiellement pour financer des bourses et des salaires pour plus de 150 jeunes ingénieurs et physiciens. La première avancée a eu lieu en 1992, grâce à Franco Bonnaudi et Romeo Perin, qui ont pu convaincre l'Associazione per lo Sviluppo del Piemonte à Turin d'accorder une bourse à Gianluigi Arduini, qui devait par la suite jouer un rôle important (avec Marco Silari et Sandro Rossi, les deux premiers directeurs techniques), dans la conception du CNAO (Centre national italien pour l'hadronthérapie oncologique). Une deuxième avancée a eu lieu en 1995, lorsque Meinhard Regler et moi avons pu obtenir un soutien suffisant du Directoire du CERN, et en particulier de la part de Horst Wenninger et de Kurt Hübner, pour l'étude PIMMS (concernant un équipement médical proton-ion), qui devait être lancée sous la direction de Phil Bryant. Cette étape s'est avérée décisive pour la partie synchrotron du programme de TERA, formant la base des configurations utilisées pour le CNAO, à Pavie, et également décisive pour le projet MedAustron en Autriche.

Le CNAO était la principale activité de TERA jusqu'en 2000, moment où Umberto Veronesi, célèbre oncologue de Milan, qui avait soutenu nos efforts depuis le début, est devenu ministre de la santé. Il a alors publié un décret établissant le CNAO en tant que fondation, et a dégagé des crédits de construction importants. En 2003, la conception du CNAO était achevée, et la Fondation TERA a alors transféré 21 personnes au CNAO, pour constituer le noyau du groupe de construction technique et d'exploitation.

La partie « prudente » de la mission initiale de TERA était achevée, et il était temps de s'intéresser à la partie « innovante » : des linacs de 3 Ghz pour la thérapie par protons et par ions carbone. Ce qui rend le linac intéressant pour le traitement du cancer est qu'il est possible de faire varier l'énergie du faisceau à intervalles de quelques millisecondes. De ce fait, les tumeurs peuvent être rapidement balayées dans leur profondeur ainsi que dans leur largeur, ce qui n'est pas réalisable de la même façon avec des machines circulaires. J'ai eu pour la première fois l'idée d'utiliser des linacs pour la thérapie en 1993, mais ce n'est qu'en 2001 qu'une collaboration TERA-CERN-INFN, dirigée par Mario Weiss, a démontré le principe avec le projet de Linac Booster (projet LIBO).

À partir du concept du LIBO, une start-up, ADAM, a été créée en 2007 par Alberto Colussi à Genève, avant d'être rachetée en 2013 par la société britannique Advanced Oncotherapy (AVO). Comme dans le cas du CNAO, TERA a également fourni les équipes constituant le noyau central d'ADAM. Aujourd'hui, AVO développe cette technologie en construisant le Linac dédié (basé sur un prototype testé au CERN) pour le système LIGHT (Image-Guided Hadron Therapy) au Laboratoire Daresbury, au Royaume-Uni. Le 27 septembre, LIGHT a produit un faisceau de 230 MeV à pleine énergie. Une salle de traitement, en cours d’installation, devrait pouvoir accueillir les premiers patients l'année prochaine, avec l’appui du University Hospitals Birmingham NHS Foundation Trust .

Pour la suite, les perspectives sont nombreuses. Les installations que nous avons conçues pour le traitement du cancer peuvent également être utilisées pour le traitement de l'arythmie cardiaque. En 2010, lorsque j'ai pensé à cette idée, j'ai découvert que je n'étais pas le premier. Douglas Packer, de la Mayo Clinic, en parlait depuis quelque temps. Une collaboration s'est créée, et aujourd'hui, à Genève, une nouvelle start-up, EBAMed, qui a un partenariat avec la Mayo Clinic, développe des technologies qui devraient l'amener à traiter ses premiers patients souffrant d'arythmie en 2024. Adriano Garonna, directeur technique de TERA de 2016 à 2018, est devenu directeur technique de cette initiative. Dans l'intervalle, le CNAO devient le premier centre au monde ayant traité un patient souffrant d'une arythmie à l'aide de protons. Je suis convaincu que, d'ici trente ans, il y aura plus d'accélérateurs de protons utilisés pour traiter les arythmies cardiaques que pour le traitement du cancer.

Une nouvelle étude PIMMS, baptisée NIMMS (le N signifie qu'elle est nouvelle) vient d'être lancée sous la direction de Maurizio Vretenar. Et il est prévu de construire un centre de recherche sur la thérapie hadronique (projet SEEIIST) en Europe du Sud-Est, s'inspirant du modèle de collaboration internationale que représente le CERN. TERA a fortement contribué à l'étude de conception de ce centre. Tout compte fait, je considère que TERA a bien joué son rôle, et je suis confiant sur sa capacité d'accompagner de nouveaux projets à l'avenir.

Pour en savoir plus sur le colloque, consultez la page : https://indico.cern.ch/event/1184432/.