Mettre le respect de l’environnement au cœur de la recherche scientifique – voilà la mission que le CERN s’est donnée il y a de cela plusieurs années. Ce credo motive des actions concrètes en faveur de la protection du climat et de la biodiversité à tous les niveaux du Laboratoire. Alors que ce dernier s’est fixé comme objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 28 % d’ici à la fin de la troisième période d'exploitation, les groupes EN-CV et EP-DT, soutenus par l’ensemble de l’Organisation et par ses partenaires scientifiques et industriels, s’apprêtent à rénover les systèmes de refroidissement des détecteurs ATLAS et CMS, ce qui contribuera à réduire drastiquement les émissions directes de gaz à effet de serre de l’Organisation. Il est en effet question d’économiser l’équivalent de 40 000 tonnes de CO2 par an en faisant le choix du CO2 (ou communément appelé R744 dans le domaine de la réfrigération, de la climatisation et des pompes à chaleur).
Le CERN déploie une énergie et des ressources considérables pour refroidir ses installations scientifiques. En parallèle de ses systèmes cryogéniques, qui refroidissent les aimants supraconducteurs du LHC jusqu’à l’antichambre du zéro absolu, le Laboratoire met en œuvre des systèmes de refroidissement plus conventionnels pour maintenir les détecteurs de son collisionneur vedette à une température revigorante allant jusqu’à -50 °C. Cette température permet notamment de protéger les systèmes de détection de particules d’ATLAS et de CMS des rayonnements ionisants sévissant durant l’exploitation du LHC. Jusqu’à présent, les systèmes de refroidissement employés par le CERN ne se démarquaient pas de ceux utilisés dans l’industrie, reposant sur des fluides réfrigérants au potentiel de réchauffement global (PRG) très élevé – en l’occurrence de la famille des perfluorocarbones.
Avec un PRG de 1 (contre plusieurs milliers pour les applications basses températures fonctionnant aux perfluorocarbones), l’adoption du CO2 comme fluide réfrigérant s’imposait comme une très bonne alternative dans un contexte de crise climatique, d’où la décision du CERN, en 2017, d’investir massivement pour le développement d’un système basé sur ce fluide. Les ingénieurs des départements EN et EP ont depuis travaillé sans relâche pour repousser les limites des équipements et des cycles de réfrigération standard, optimisant chaque paramètre avec minutie afin de refroidir le CO2 proche de sa limite d’utilisation (-53 °C).
Outre les coûts élevés, les obstacles sur la route vers la responsabilité environnementale ont été nombreux, comme en atteste Pierre Hanf, ingénieur au sein de la section EN-CV/PJ : « Les systèmes de refroidissement au CO2 opèrent à haute pression comparés aux solutions disponibles sur le marché et sont connus pour leur plus grande complexité. Bien que le principe de fonctionnement soit validé pour des petits systèmes "prêts à l’emploi", la production et la distribution du froid à grande échelle prenant en compte les contraintes du CERN en caverne à 100 mètres sous terre n’avaient jamais été réalisées dans l’industrie, d’où la nécessité de développer des solutions en interne en nous appuyant sur l’expertise d’instituts partenaires. À ce titre, la collaboration avec l’Université norvégienne de science et technologie (NTNU), qui dispose d’un savoir reconnu au niveau européen dans le domaine de la réfrigération et de ses applications au CO2, s’est révélée primordiale. »
Six ans après le début du projet, ces efforts portent leurs fruits : le concept est validé, la phase de développement terminée, et la production industrielle des nouveaux équipements entamée. En opération, le CO2 circulant dans le circuit de refroidissement primaire, exploité par le département EN en amont des détecteurs, puis dans le circuit secondaire, domaine d’EP, fonctionnera sous la barre des -53°C. « Au-delà des considérations environnementales, le choix du nouveau système de refroidissement vise à équiper les détecteurs ATLAS et CMS face aux rayonnements ionisants accrus provoqués par la haute luminosité, explique Paolo Petagna, chef du projet au sein de la section EP-DT. Dans cet environnement hostile, il est crucial de pouvoir offrir aux collaborations des températures aussi basses que possible. »
Le chemin reste long jusqu’à la mise en route du nouveau système en amont de la quatrième période d’exploitation des accélérateurs. Les partenaires industriels construisent plus de trente pompes à CO2 qui seront acheminées au CERN au cours des prochaines années. Selon Roberto Bozzi, de la section EN-CV/PJ, « le développement de ces systèmes de refroidissement au CO2 à grande échelle est un exemple frappant de la manière dont le savoir-faire propre au CERN se diffuse dans l’industrie européenne. En effet, les entreprises partenaires seront en mesure de reproduire cette solution et de la disséminer au sein de secteurs gourmands en refroidissement, tels que les industries agro-alimentaire ou pharmaceutique, participant ainsi à leur transition verte. »
À cette liste de potentiels bénéficiaires s’ajoutent les détecteurs et installations du CERN en dehors d’ATLAS et de CMS, dont la demande en froid est également considérable et qui pourraient à terme commencer leur transition vers le CO2. C’est en tout cas le souhait des équipes d’EP et EN impliquées dans ce projet, dont les représentants soulignent, avant toute chose, le caractère collectif de cette entreprise de longue date, qui n’aurait pu aboutir sans la précieuse collaboration des groupes en charge des équipements et des services au sein des secteurs Accélérateurs et technologie et Recherche et informatique du CERN, ainsi que des équipes techniques et de coordination d’ATLAS et de CMS. « Avec le système de refroidissement au CO2, c’est l’intégralité du CERN qui se mobilise pour le climat sur la durée, de manière constructive et concrète. Une recette contenant beaucoup d’ingrédients, à laquelle nous avons hâte de goûter », conclut Roberto Bozzi.