Les jours rallongent, les arbres reverdissent et il est temps pour le complexe d'accélérateurs du CERN de sortir de son sommeil. Après l'arrêt technique hivernal (YETS) – une période de 17 semaines au cours de laquelle les accélérateurs font l'objet de travaux de maintenance et d'améliorations mineures – chaque accélérateur de la chaîne a, tour à tour, redémarré en vue de la saison 2023 de collecte de données. Chaque redémarrage est une étape importante en vue d'acheminer les protons depuis leur source jusqu'à leur destination finale dans le Grand collisionneur de hadrons (LHC), opération qui a eu lieu le 28 mars. Alors que la plupart des améliorations majeures ont été apportées aux machines durant le long arrêt qui a précédé le lancement de la troisième période d'exploitation du LHC, les améliorations qui ont été apportées aux accélérateurs pendant le long arrêt hivernal amélioreront la collecte de données de physique lors de la deuxième année de cette période d'exploitation.
Tout a commencé le 13 février 2023, lorsque le Linac 4 a commencé sa mise en service avec faisceau : une courte période de réglage de la machine préalable à sa mise en fonctionnement, qui a eu lieu le 17 février. Cet accélérateur linéaire est chargé d'alimenter en protons l'ensemble de la chaîne d'accélérateurs. Il se compose d'une source d'ions hydrogène et de plusieurs structures accélératrices (appelées cavités radiofréquences) que traversent les ions avant d’arriver au Booster du Synchrotron à protons (PSB). Lors du long arrêt hivernal, la source du Linac 4 a été améliorée. Alessandra Lombardi, physicienne spécialiste des accélérateurs au CERN, explique : « La nouveauté concerne en fait l'extraction. La nouvelle source n’est pas si différente de la précédente, mais elle permet à présent d'augmenter de 30 % l'intensité de crête du faisceau. » Grâce à cette amélioration, l'intensité des faisceaux traversant les accélérateurs sera potentiellement plus élevée.
Le 3 mars, c’était au tour du Booster du Synchrotron à protons de commencer la mise en service avec faisceau. Dans cette machine, les ions hydrogène accélérés par le Linac 4 sont débarrassés de leurs électrons, de sorte que ne subsistent que les protons. Les faisceaux de protons qui en résultent sont ensuite accélérés dans quatre anneaux synchrotron, qui alimentent un petit nombre d'expériences ainsi que l'accélérateur suivant de la chaîne : le Synchrotron à protons (PS).
Puis, le 10 mars, les équipes ont redémarré le PS, chargé de fournir des faisceaux de protons à diverses expériences, dont n_TOF, le décélérateur d'antiprotons (AD) et les expériences de la zone Est, ainsi qu'au Supersynchrotron à protons (SPS), l'accélérateur situé en aval. Au cours du long arrêt hivernal, les lignes de faisceau entre le PS et le SPS ont fait l'objet de travaux d'amélioration afin de rendre le transfert de faisceau plus efficace. Jusqu'en 2016, date à laquelle une nouvelle méthode, appelée « extraction multitours », a été adoptée, le processus de transfert du faisceau du PS vers le SPS entraînait des pertes de faisceau. La circonférence du SPS étant onze fois plus grande que celle du PS, l’opération de transfert consistait à faire faire au faisceau cinq fois le tour du PS, pour remplir dix des onze sections du SPS. Cette configuration permet de disposer d'un certain espace pour diriger le faisceau. En prévision de 2023, la méthode a été encore améliorée, avec la mise en place d’intervalles de stabilisation. Le système peut ainsi synchroniser avec ces intervalles l'injection du faisceau dans l'accélérateur suivant, ce qui limite les pertes de faisceau et améliore l'efficacité de l'ensemble du complexe.
Enfin, le 17 mars, la mise en service avec faisceau a été lancée au Supersynchrotron à protons (SPS). L'ajustement et la préparation de cet accélérateur pour la physique sont les dernières opérations à réaliser avant que des faisceaux de protons puissent à nouveau circuler dans le LHC. Le SPS a lui aussi fait l'objet d'améliorations en vue de l’exploitation 2023. Mike Barnes, ingénieur principal au CERN, explique : « Nous avons des aimants de déflexion rapide dans tous les accélérateurs, dont beaucoup ont fait l'objet de travaux. Tous ces systèmes doivent être remis en service et testés avant que le Centre de contrôle du CERN prenne la main pour la mise en exploitation. » Les aimants de déflexion rapide fonctionnent comme des aiguillages sur des voies ferrées : ils modifient la direction du faisceau pour l'amener à l'accélérateur suivant. Il poursuit : « Dans le système d'aimants de déflexion rapide du SPS, quatre modules ont été améliorés de manière à réduire la quantité de chaleur que le faisceau y dépose. Auparavant, il y avait des limites à la circulation de faisceaux de haute intensité dans le SPS ».
S’agissant du LHC, l'arrêt technique hivernal a été l’occasion de remplacer par un nouveau modèle l'un des aimants d’injection à déflexion rapide ; tout comme de nombreux équipements installés dans le tunnel du LHC, ce nouvel aimant sera testé dans le cadre des préparatifs de l’exploitation future du LHC à haute luminosité.
L'ensemble du processus de redémarrage des accélérateurs est extrêmement complexe et fait intervenir de nombreuses personnes dans plusieurs groupes du CERN. Le redémarrage du LHC est différent chaque année en raison de l'amélioration continue dont il fait l’objet ; à chaque étape du redémarrage, chaque accélérateur doit être ajusté afin que l'exploitation pour la physique soit aussi efficiente et productive que possible. Après une période de mise en service, qui a débuté le 28 mars, le LHC devrait connaître ses premières collisions le 22 avril, et apporter aux expériences une efficacité et une intensité de faisceau sans précédent.
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