« Le Décélérateur d’antiprotons (AD) est comme un CERN miniature : deux synchrotrons dans lesquels circulent des particules, cinq expériences réparties aux extrémités des lignes de transfert, le tout dans un hall semi-enterré. C’est petit, mais il y fait bon travailler ! ». François Butin, coordinateur technique de l’AD (aussi connu sous le nom d’usine d’antimatière), aurait pu ajouter qu’il s’agit d’un CERN inversé : dans un laboratoire où l’on s’emploie à accélérer les particules, l’AD et sa nouvelle collègue ELENA (Extra Low Energy Antiprotons deceleration ring) les décélèrent pour qu’elles atteignent des niveaux d’énergie très bas. En effet, trois ans après la circulation des premiers antiprotons dans ELENA, le nouvel anneau a pu, pour la première fois, injecter des ions H- (lesquels remplacent l’antimatière avant le redémarrage du Synchrotron à protons) et les acheminer jusqu’aux expériences GBAR et ALPHA. Ceci a été rendu possible par l’installation des nouvelles lignes de transfert pendant le deuxième long arrêt technique (LS2).
D’allure modeste avec ses 30 mètres de circonférence, ELENA est pourtant la nouvelle pièce maîtresse de l’usine d’antimatière. Recevant les antiprotons de l’AD à une énergie de 5,3 MeV, elle les décélère ensuite jusqu’à 0,1 MeV, ce qui permet de se passer de systèmes de décélération qui causaient des pertes de particules.
La nouvelle expérience GBAR a été connectée, dès son installation, en 2017, à ELENA mais les autres expériences étaient, elles, encore reliées à l’AD. À partir de novembre 2018, le LS2 a donc largement été consacré au démantèlement puis au remplacement des anciennes lignes par les nouvelles lignes de transfert entre ELENA et ALPHA, AEgIS, ASACUSA, BASE et d’éventuelles futures expériences.
Loin d’être des copies conformes de leurs prédécesseurs, ces nouvelles lignes de transfert introduisent des technologies innovantes dans l’usine d’antimatière : les anciens électroaimants font place à des plaques électrostatiques dipolaires et quadripolaires, suffisantes pour diriger les particules extrêmement ralenties. En se passant de systèmes magnétiques, l’usine d’antimatière choisit une solution économique et réalise des gains d’espace mis à profit pour augmenter la densité des quadripôles et ainsi stabiliser davantage le faisceau. Innovation également du côté de l’instrumentation : les anciens systèmes de contrôle du faisceau GEM (Gas Emission Monitors) font place à des moniteurs de profils SEM (Secondary Emission monitors) qui permettent un contrôle accru et non destructif du faisceau sur toute la longueur des lignes de transfert.
« Il sera ainsi mis à disposition des expériences et de l’équipe d’opération un faisceau d’antiprotons ralenti par ELENA plus dense, plus stable et mieux maîtrisé », précise Christian Carli, chef du projet ELENA. Un cadeau dont les expériences profiteront une fois que le Synchrotron à protons (PS) et la cible AD (également l’objet d’une rénovation en profondeur) reprendront du service.
D’autant plus que les premiers diagnostics du faisceau d’ions H- traversant les nouvelles lignes jusqu’aux expériences sont très positifs : « L’optique est bonne, la taille des faisceaux aussi. Quel plaisir de voir les particules injectées dans les lignes, après deux ans de travail dans ce but ! », se réjouit Laurette Ponce, responsable des opérations pour l’AD et ELENA. Pour Laurette et l’équipe Opérations, c’est plusieurs mois de travail de caractérisation du faisceau d’ions qui commencent, avant que l’AD n’irrigue en antiprotons les nouvelles lignes de transfert et les expériences reliées à ELENA.