
Hans Gutbrod, pionnier de la physique des ions lourds dans les années 1970, est décédé le 3 mars 2025. Il comptait parmi les membres fondateurs de la collaboration ALICE au CERN ; il était aussi le chef de l’équipe centrale du projet FAIR au GSI, à Darmstadt.
Hans a étudié à l’Université technique de Karlsruhe ainsi qu’à l’Université de Heidelberg, où il a obtenu son doctorat en 1970, sous la direction de Wolfgang Gentner et de Rudolf Bock. Il a ensuite travaillé dans le domaine de la physique des ions lourds à basse énergie à Heidelberg, à Rochester (New York), au Brookhaven National Laboratory et à Berkeley (Californie). En 1974, Reinhard Stock l'invite à venir travailler avec lui auprès de l’accélérateur Bevalac, alors récemment mis en service au Laboratoire national Lawrence Berkeley (anciennement LBL, aujourd’hui LBNL). C’est à cette période qu’ils réfléchissent à la question des noyaux : seraient-ils suffisamment denses pour former une boule de feu comprimée lors de collisions nucléaires relativistes, ou passeraient-ils l’un à travers l’autre, créant des ondes de choc ? De 1978 à 1981, il participe avec Arthur Poskanzer et Hans Georg Ritter à la construction, au Bevalac, du détecteur 4π « Plastic Ball » du GSI-LBL, premier détecteur électronique en physique nucléaire relativiste avec couverture de 4π et identification de particules. Ils découvrent le comportement collectif de la matière nucléaire, ou « flux », qui reste l'une des découvertes les plus importantes jamais faites en physique des ions lourds relativistes. En 1988, Hans Gutbrod et Reinhard Stock reçoivent le prix Robert-Wichard-Pohl-Preis de la Société allemande de physique.
En 1982, le GSI, le CERN et le LBL signent un mémorandum d'accord afin de pouvoir utiliser des ions lourds au CERN, d'abord au Synchrotron à protons (PS), puis au Supersynchrotron à protons (SPS). Hans rejoint ensuite le CERN, apportant des éléments du détecteur Plastic Ball, qui fera partie intégrante de WA80, expérience de première génération du SPS, laquelle deviendra ensuite WA93, puis WA98. Ses expériences à cible fixe au SPS ont contribué de façon significative à la physique des ions lourds, notamment avec la première mesure du flux elliptique et les nombreux résultats relatifs aux photons, tels que la production directe de photons et de pions neutres, ainsi qu’en établissant le rapport particules neutres/particules chargées pour l'étude des condensats chiraux désorientés.
Lorsqu’au début des années 1990 ont eu lieu les premières discussions à propos d’un programme d'ions lourds au LHC, Hans s'est immédiatement investi avec enthousiasme dans le projet, s’intéressant aussi bien à la physique qu’aux concepts du détecteur. Grâce à son inépuisable énergie et à son esprit de collaboration, il a pu mobiliser de nombreux partenaires issus de ses expériences auprès du SPS, en particulier ses collègues indiens et russes. En tant que l’un des membres fondateurs d'ALICE, il a joué un rôle essentiel dans la conception du détecteur, notamment en choisissant de réutiliser l'aimant L3, de développer un bras à muons (projet qu'il a dirigé pendant de nombreuses années), et d’installer un spectromètre à photons et un calorimètre de grande surface ; certains de ces choix n'ont pu se concrétiser que bien plus tard en raison de contraintes d’ordre pratique. Hans a été le premier porte-parole adjoint d’ALICE, poste qu’il a occupé pendant dix ans, depuis la présentation de la lettre d’intention, en 1993, jusqu'en 2003.
En 1995, Hans prend la direction du laboratoire Subatech alors récemment fondé à Nantes, où il encouragera la collaboration avec des équipes d’expériences internationales, telles que STAR, PHENIX et ALICE. Il fonde un groupe de recherche axé sur les applications nucléaires et il est à l'origine de la conception du cyclotron ARRONAX, outil puissant pour la recherche et la production de radioisotopes.
En 2001, Hans retourne au GSI travailler sur le projet FAIR, installation de recherche de pointe sur les antiprotons et les ions lourds. Son charisme et son imagination ont été précieux pour mettre en place le projet ; en tant que chef de l'équipe centrale commune de FAIR, il a contribué de façon significative à la conception du projet. Il a activement favorisé une vaste coopération et, parce qu’il entretenait des liens étroits avec les instituts indiens, il les a encouragés à participer au projet FAIR. Hans a également joué un rôle important dans la préparation du programme sur les ions lourds de l'installation NICA au JINR, à Doubna (Russie), où il a siégé pendant plus de dix ans au Comité consultatif du programme et au Comité consultatif du détecteur.
Hans était professeur honoraire au sein du département de physique de l’Université Goethe de Francfort et avait reçu le titre de docteur Honoris Causa de l’Université de Lund, en Suède. Il était en outre membre de la Société américaine de physique depuis 1992.
Les contributions apportées par Hans à la physique expérimentale ont été visionnaires et d'une grande portée. Son héritage scientifique perdurera à travers les expériences qu'il a contribué à mettre au point et grâce aux nombreux collègues et collaborateurs qu'il a encadrés et inspirés tout au long de sa carrière. Hans laissera l’empreinte d’un scientifique exceptionnel, un collègue très apprécié et une personne remarquable. Son enthousiasme et son ouverture d’esprit resteront gravés dans nos cœurs.
Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille, à ses amis proches et à ses collaborateurs. Il nous manquera énormément.
Ses amis et collègues de la collaboration ALICE