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AWAKE amorce l'accélération contrôlée de particules à l'aide de champs de sillage plasma

La collaboration AWAKE a réussi à amorcer l'auto-modulation d'un paquet de protons pour contrôler et stabiliser les ondes plasma qui permettent d'accélérer des électrons avec des gradients records

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AWAKE beam line commisioning
L'expérience AWAKE au CERN (Image: CERN)

Dans le tunnel qui abritait l'installation Neutrinos du CERN vers le Gran Sasso (CERN Neutrinos to Gran Sasso - CNGS), qui n'est désormais plus en service, l'expérience AWAKE (Advanced Wakefield Experiment) cherche à révolutionner le domaine de l'accélération de particules. La collaboration, qui regroupe 23 instituts, vise à trouver une alternative viable et plus efficace à l'accélération radiofréquence grâce à des particules chargées (en l'occurrence des électrons), qui se déplacent en « surfant » sur les vagues d'un champ de plasma (ou « champ de sillage ») créé par un intense paquet de protons envoyé à travers le plasma.

Alors que l'on a pu montrer que les champs de sillage plasma produisent des gradients d'accélération jusqu'à mille fois supérieurs à ceux obtenus avec des cavités radiofréquence, leur utilisation dans des expériences de physique des particules et de physique des hautes énergies s'est trouvée limitée par les techniques actuelles, peu pratiques, qui nécessitent de juxtaposer plusieurs sources de plasma pour obtenir de hautes énergies. AWAKE, elle, est la première expérience à étudier l'utilisation de protons, plutôt que des lasers ou des faisceaux d'électrons, pour entraîner le plasma. Afin de pouvoir créer les champs de sillage requis dans le plasma pour accélérer les électrons de manière efficace, le long faisceau de protons extrait du Supersynchrotron à protons (SPS) du CERN vers AWAKE doit être découpé en paquets plus petits lors d'un processus appelé modulation. Dans un article publié le 6 juillet 2022 dans la revue Physics Review Letters, la collaboration a montré comment la modulation du faisceau de protons peut être contrôlée en amorçant le processus avec des électrons relativistes – une étape cruciale en vue d'un accélérateur basé sur des champs de sillage qui soit opérationnel.

Pour comprendre la notion d'« amorçage », revenons plus en détail sur la technologie sur laquelle s'appuie AWAKE. Le faisceau de protons provenant du SPS est injecté dans une source de vapeur contenant du rubidium, qui est transformé en plasma (état de gaz ionisé) par une impulsion laser précédant le paquet de protons. Un paquet d'électrons court peut alors être injecté dans le sillage de protons pour être accéléré à haute énergie. Pour que les électrons puissent surfer de manière efficace sur les vagues du plasma, la longueur du paquet de protons doit être égale à la longueur d'onde du plasma. Par chance, le long faisceau de protons du SPS est automatiquement découpé en petits paquets lorsqu'il se propage dans le plasma (« auto-modulation ») ; c'est ce qui a permis à AWAKE, en 2018, de faire la démonstration de la « toute première accélération d’électrons au moyen de cette technique ».

« Pour que tout le faisceau de protons modulé puisse être reproduit, et donc que son aptitude à accélérer des électrons soit préservée, nous avons conçu une technique permettant de contrôler précisément le moment où la modulation commence : nous l'amorçons avec un premier paquet d'électrons, différent de celui qui sera accéléré. En injectant ce paquet plusieurs centaines de picosecondes avant que les protons pénètrent le plasma, l'avant du faisceau de protons module de manière synchronisée, créant un champ de sillage régulier dont la phase peut être mesurée avec précision », explique Livio Verra, physicien dans la section ABP-LAF du département Faisceaux (BE) et premier auteur de l'article. L'injection du paquet d'électrons que l'expérience cherche à accélérer peut ensuite être synchronisée à la perfection. L'accélération devient alors durable et contrôlée, et produit un gradient global inégalé.

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Cette figure montre la somme de dix images consécutives du groupe de protons auto-modulés. Le faisceau se déplace de gauche à droite. Le moment de la modulation est déterminé par le faisceau d'électrons le précédent et il est reproductible d'un événement à l'autre.(Image: CERN)

Edda Gschwendtner, responsable du projet AWAKE au CERN, envisage l'avenir avec optimisme : « La réussite ultime de la technologie du champ de sillage développée par AWAKE tenait à la faisabilité de l'amorçage de l'auto-modulation du paquet de protons. Cette étape étant désormais franchie, la collaboration est prête à relever les prochains défis, à commencer par la mise en service d'une nouvelle source de plasma. » Cette source, en cours de développement à l'Institut Max Planck à Munich, en Allemagne, créera un plasma comportant deux régions de densité différente (et donc de température différente), qui augmenteront encore le gradient d'accélération par rapport à celui obtenu jusqu'ici. L'utilisation d'une nouvelle source de plasma n'est qu'un aspect du riche programme d'études qui seront menées pendant la deuxième période d'exploitation pour la physique d'AWAKE.

Les derniers éléments de l'installation CNGS seront démontés durant le troisième long arrêt (LS3). AWAKE entend profiter de cette occasion pour utiliser l'espace ainsi libéré pour les prochaines phases de l'expérience. Ces phases seront axées sur l'accélération d'électrons à haute énergie tout en préservant la qualité du faisceau, condition sine qua non pour de futures applications en physique des particules. Parallèlement, la collaboration continuera de développer des technologies de source de plasma évolutives, comme la décharge et les cellules plasma hélicon, essentielles pour accroître l'énergie finale atteinte. Une fois que ces technologies auront été validées et que l'on aura démontré qu'il est possible de contrôler l'accélération des électrons, de futures applications à haute énergie seront réalisables, comme des expériences à cible fixe recherchant de la matière noire.