« Malgré les progrès technologiques, de nombreuses innovations scientifiques ne se concrétisent pas faute de matériel abordable et personnalisable, explique François Grey, professeur à l’Université de Genève et coordinateur de Citizen Cyberlab, un partenariat entre le CERN, l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR), et l’Université de Genève – qui a co-organisé l’atelier GOSH! 2016. « Cette pénurie de matériel scientifique accessible est particulièrement gênante pour les groupes scientifiques d’initiative citoyenne ou les organisations humanitaires qui ne disposent pas des mêmes moyens qu’un institut correctement financé. » Accéder librement au matériel scientifique permettrait en effet de limiter les coûts liés à l’instrumentation et d’élargir le cercle des utilisateurs, tout en facilitant la réutilisation et l'adaptabilité.
Si la question du matériel libre en général fait l’objet de discussions dans le monde entier depuis plus de 5 ans dans le cadre d’initiatives telles que l’Open Source Hardware Association ou de projets inédits du CERN comme le Répertoire du matériel libre et la licence de matériel libre, GOSH! est la première réunion du genre portant spécifiquement sur le matériel open source pour la science. Une cinquantaine de personnes, dont des utilisateurs et des développeurs de matériel libre de divers domaines scientifiques, mais aussi des juristes et économistes spécialistes du sujet, étaient rassemblées à IdeaSquare. Objectif : créer, à partir de groupes dispersés, une communauté cohésive et autonome de premiers utilisateurs, et préparer le futur.
Plus précisément, la réunion GOSH! avait deux buts : « Nous avons rassemblé scientifiques et développeurs d’outils open source issus de disciplines très variées, telles que la biologie synthétique, les détecteurs de rayons cosmiques ou l’enseignement des neurosciences, indique Jenny Molloy, co-organisatrice GOSH! de l’Université de Cambridge. De cette façon, ils ont pu voir comment chacun s’attaque au défi d’un accès plus large au matériel. »
Le deuxième but de GOSH! était d'examiner les futurs grands défis que les membres de la communauté du matériel de science ouverte doivent relever afin d’établir une feuille de route commune, de promouvoir le mouvement et, en définitive, d’encourager une évolution sociale vers l’ouverture au sein de leurs groupes ou institutions. Parmi les nombreuses questions qui doivent être résolues figurent les aspects juridiques – comment protéger la création de matériel open source ? – ainsi que des problèmes d’ordre économique.
Il est en effet essentiel d’examiner toutes les solutions commerciales qui permettraient d’inscrire durablement dans le temps le mouvement. Les discussions sur la viabilité économique du marché de l’open source se sont concentrées sur deux aspects : premièrement, comme le matériel open source permet de réduire considérablement les obstacles à son accès pour les fabricants, de nouveaux marchés peuvent voir le jour, en particulier dans les environnements manquant de ressources. Deuxièmement, commercialiser un produit issu d’un matériel open source n’est pas contradictoire. Les consommateurs en retirent également des avantages importants : « "Libre " ne signifie pas que l’on doive concevoir et construire tout en laboratoire en partant de rien, souligne Javier Serrano, ingénieur au CERN et créateur du Répertoire du matériel libre (Open Hardware Repository), qui a prononcé le discours d’ouverture de la réunion. Au contraire, le fait de pouvoir obtenir des détails précis sur un modèle de matériel libre devrait être une garantie de fiabilité et de reproductibilité, davantage de personnes travaillant dessus. La commercialisation de modèles libres donne aux chercheurs le choix d’acheter le matériel tout prêt ou en kit, et de le modifier ensuite si nécessaire, ce qui permet de réduire les doublons », explique Javier.
Outre les économies réalisées et les divers flux de recettes générés, il existe au moins un autre avantage inestimable lié au matériel open source : la confiance dans la science. « Le fait d’être entièrement libre d’utiliser les instruments, les méthodes et les données qui s’y rapportent est un argument solide pour faire confiance aux résultats scientifiques. Par exemple, le projet Safecast, un système open source de surveillance des rayonnements, est devenu une référence pour suivre les radiations après la catastrophe de Fukushima ; cela a même été reconnu par le gouvernement japonais », conclut François Grey.