Les neutrinos sont des particules compliquées. Contrairement aux autres particules fondamentales connues, ils souffrent d’une sorte de crise d’identité : si l’on pouvait les peser, on observerait que la balance indique l’une des trois masses possibles pour un neutrino, sans que l’on puisse prédire laquelle. Ainsi, le neutrino oscille entre trois « saveurs » à mesure qu’il traverse l’espace et la matière. Cette particularité suppose la possibilité d’asymétries matière-antimatière, qui sont intéressantes au regard de certaines questions en suspens dans le domaine de la cosmologie. Les neutrinos font aujourd’hui l’objet de multiples recherches dans les domaines de la physique des particules, de l’astrophysique et de l’astronomie multi-messager.
Le CERN va produire un deuxième cryostat destiné aux détecteurs de DUNE, l’expérience neutrino souterraine internationale, aux États-Unis – un bel exemple de collaboration internationale dans le domaine de la physique des particules. Les cryostats sont de très grandes enceintes en acier inoxydable, placées à l’intérieur de l’expérience DUNE, qui renfermeront, à très basse température, 70 000 tonnes d’argon liquide. Pour produire les cryostats présentant les dimensions et les caractéristiques de température requises, il a fallu certaines innovations, rendues possibles par une collaboration avec l’industrie du transport de gaz naturel liquéfié. Le CERN s’était déjà engagé à construire le premier des quatre cryostats de DUNE. Le Conseil du CERN ayant donné son approbation, l’Organisation va en fournir un deuxième.
La collaboration tire parti de l’expertise acquise par le CERN dans le domaine des cryostats. Cela fait bien longtemps que les spécialistes des neutrinos rêvaient de déployer cette technologie à une telle échelle. On sait que les neutrinos sont difficiles à détecter. Lorsqu’ils traversent la matière, ils ont très peu de chances d’interagir, et lorsque cela arrive, c’est généralement avec l’un des objets de physique les moins bien compris, le noyau atomique, faisant émerger une gerbe de particules et d’excitations du chaos de la matière hadronique. Pour qu’un nombre suffisant de ces insaisissables particules interagissent avec les noyaux, il faut une cible dense, ce qui n’est pas vraiment un bon point de départ pour la construction d’un détecteur suffisamment sensible pour reconstituer de manière détaillée ces gerbes de particules.
En 1977, Carlo Rubbia, ancien directeur général du CERN et prix Nobel, proposa une solution à ce problème : faire interagir les neutrinos dans des réservoirs d’argon liquide; des champs électriques amplifieraient les signaux minuscules résultant de la faible ionisation, par les particules chargées créées au cours de la collision, des atomes d’argon voisins, permettant ainsi de reconstituer l’événement à la manière d’une image en 3D, avec une résolution exceptionnelle sans précédent pour une expérience neutrino. C’est ainsi qu’une première chambre à projection temporelle à argon liquide de grande dimension fut fabriquée par l’expérience ICARUS au Laboratoire du Gran Sasso. Cette enceinte, construite par l’INFN, en Italie, a été rénovée au CERN puis acheminée jusqu’à l’installation neutrino courte distance du Fermilab en 2017. Chaque module du détecteur DUNE sera 20 fois plus grand que cette première enceinte. Ces systèmes innovants font l’objet de travaux de développement au CERN depuis plusieurs années déjà, dans le cadre de la préparation et des tests de deux détecteurs ProtoDUNE, ce qui a permis de valider les principes de fonctionnement de la technologie.
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Pour en savoir plus, retrouvez l’article complet en anglais dans le magazine CERN Courier.