Les travaux menés pendant l'arrêt technique hivernal (YETS) sur les premières machines de la chaîne d'accélérateurs touchent à leur fin ; en ce qui concerne le LHC, il reste environ six semaines de travail avant que les clés de la machine ne soient remises au groupe Opérations le 13 mars, pour la remise en service.
S'il est essentiel de disposer pour la campagne 2025 d’un calendrier bien défini et approuvé, il est tout aussi important d’établir des configurations et des scénarios d'exploitation clairs. Ceux-ci sont mis au point et optimisés tout au long de l'année dans différentes réunions au sein de groupes de travail et de comités. Ils sont ensuite consolidés lors de deux ateliers clés, qui jouent un rôle essentiel non seulement pour l’exploitation immédiate du complexe d'accélérateurs, mais également la préparation de son avenir à long terme.
Le premier d'entre eux, l'atelier conjoint sur les performances de l'accélérateur (Joint Accelerator Performance Workshop - JAPW), a eu lieu du 10 au 12 décembre 2024. Il réunissait les équipes chargées des machines et des opérations ainsi que des équipes des expériences, et a été l’occasion de faire le point sur les réalisations accomplies et les difficultés rencontrées en 2024 et d’en tirer les enseignements. L'un des buts de l’atelier était de définir la configuration et des objectifs de performance pour l'exploitation 2025.
Le deuxième, plus stratégique, l'atelier de Chamonix, va au-delà des aspects opérationnels pour aborder des sujets plus larges. Il s'agit notamment de planifier le reste de la troisième période d'exploitation et la quatrième période d'exploitation, et de réfléchir au troisième long arrêt (LS3), au LHC à haute luminosité (HL-LHC) et à l'étude de faisabilité du Futur collisionneur circulaire (FCC). L'atelier de Chamonix intègre les contributions et les recommandations de l'atelier conjoint sur les performances de l'accélérateur ; il sera l’occasion de prendre des décisions capitales qui orienteront l'exploitation du complexe d'accélérateurs dans les années précédant le LS3.
À l'heure où j'écris, l'atelier de Chamonix bat son plein et les premiers contours de la configuration et des scénarios d'exploitation du LHC en 2025 commencent à se dessiner.
En ce qui concerne l'exploitation 2025 du LHC, la majeure partie du programme est consacrée aux collisions de protons, qui seront complétées par des campagnes plus courtes avec des ions plomb et oxygène. Sur la base du calendrier 2025 approuvé pour le LHC et des paramètres de faisceau examinés, des objectifs provisoires de luminosité ont été proposés ; ces chiffres restent à confirmer, et, bien sûr, supposent une disponibilité du faisceau égale, voire supérieure, à l'excellente disponibilité obtenue en 2024 dans l'ensemble du complexe de l'accélérateur.
En 2024, la campagne avec protons a duré 147 jours et a fourni une luminosité intégrée de 124 fb-1. Pour 2025, 138 jours ont été alloués aux collisions avec protons, soit 9 jours de moins qu'en 2024. En dépit d'un temps d'exploitation plus court, les objectifs proposés pour la luminosité intégrée sont ambitieux : 120 fb-1 pour ATLAS et CMS, 12 fb-1 pour LHCb et 50 pb-1 pour ALICE. Ces objectifs sont ambitieux, mais réalistes, car il sera possible d'augmenter légèrement la production de luminosité en tirant parti de petites améliorations obtenues au niveau des limitations causées par le nuage d'électrons (voir encadré ci-après).
S’agissant de la campagne avec ions plomb, d’une durée de 21 jours, prévue fin 2025, les objectifs de luminosité intégrée proposés sont de 2,4 nb-1 pour ATLAS, CMS et ALICE, et de 0,8 nb-1 pour LHCb. Là encore, on a mis la barre haut, mais les enseignements tirés la campagne avec ions plomb 2024 pourraient permettre de nouvelles optimisations, ce qui rendrait ces objectifs atteignables.
Comment augmenter légèrement la production de luminosité ? Le faisceau du LHC est constitué de « trains de paquets », c'est-à-dire des groupes rapprochés de paquets de particules, espacés les uns des autres de 25 nanosecondes (environ 7,5 m). La longueur de ces trains de paquets varie en fonction du nombre de paquets qui se suivent. Le faisceau circule dans le LHC dans les enceintes à vide, à l’intérieur des écrans de faisceau (tubes qui protègent les enroulements des aimants et le système cryogénique des charges thermiques, des rayonnements et d'autres phénomènes pouvant endommager les systèmes), et, ce faisant, il libère des électrons, qui sont accélérés par le passage des paquets. Ces électrons entrent ensuite en collision avec l'écran de faisceau, libérant d'autres électrons dans une réaction en chaîne connue sous le nom de « nuage d'électrons ». Ce nuage d'électrons peut rendre le faisceau instable. En outre, les collisions des électrons avec l'écran de faisceau génèrent de la chaleur, qui doit être évacuée par le système de refroidissement cryogénique. La chaleur produite limite à la fois le nombre de paquets dans un train et l'intensité de chaque paquet. Avec des trains de paquets plus courts et des paquets plus espacés, on parvient à réduire la formation de nuages d'électrons et donc la chaleur qui se dépose sur l'écran de faisceau. En 2024, le LHC a fonctionné avec des trains de paquets composés de 3 lots de 36 paquets par injection, chaque paquet ayant une intensité de 1,6 x 1011 protons. Au cours des 147 jours d'exploitation en 2024, le bombardement d'électrons a « conditionné » davantage les écrans de faisceau, réduisant progressivement le nombre d'électrons libérés (un peu comme lors des campagnes de nettoyage (« scrubbing »)). Par conséquent, en fin d'exploitation, la chaleur déposée dans les écrans de faisceau était légèrement inférieure par rapport au début, même si la configuration du train de paquets et l'intensité des paquets sont restées identiques. Cette diminution du dépôt de chaleur fait que l'on dispose d'une petite marge qui permet d'ajuster la configuration du train de paquets (on peut envisager 4 x 36 paquets, voire 5 x 36 paquets) et/ou d'augmenter légèrement l'intensité des paquets (par exemple 1,7 x 1011 protons par paquet, voire 1,8 x 1011 protons par paquet). On obtiendrait ainsi une légère augmentation de la production de luminosité, faisant de l'objectif de 120 fb-1 pour 2025 un objectif réaliste. |